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Compte rendu de la journée d’étude consacrée au phénomène de « kūdōka » (phénomène d’évidement), Inalco, 10 juin 2024.

Par Faustine Chadaillac (étudiante en Master 2, Inalco)

Journée d’étude « Face au kūdōka (phénomène d’évidement) : dynamiques territoriales dans le Japon contemporain », Paris, 10 juin 2024. 

Comité d’organisation : 

BERTHON Alice (Université Grenoble Alpes)
MURAMATSU Kenjiro (Université Jean Moulin 3)
TOKUMITSU Naoko (Inalco)

La journée d’étude consacrée au phénomène de kūdōka s’est tenue le lundi 10 juin 2024 en format hybride dans les locaux de l’Inalco. Organisée par Alice Berthon de l’Université Grenoble Alpes, Kenjirō Muramatsu de l’Université Jean Moulin Lyon 3 et Naoko Tokumitsu de l’Inalco du groupe « Dynamiques territoriales » de l’équipe Populations japonaises (IFRAE et CRCAO), cette journée a été l’occasion de discuter ce phénomène sous différentes facettes et dans différents domaines, ce qui a permis de s’interroger sur le Japon contemporain ensemble.

Kenjirō Muramatsu, maître de conférences à l’université Jean Moulin Lyon 3 ouvre la journée d’étude avec une présentation intitulée « Qu’est-ce qu’un “kūdōka” ? : réflexions autour de “kōgaika” (la banlieurisation) ». Il commence par expliquer que l’évidement kūdōka est un concept récurrent qui s’emploie pour caractériser le Japon contemporain. Alors qu’il désignait dans les années 1960-70 le vide au sens politique, puis dans les années 1980 le vide économique, il est aujourd’hui associé à la problématique du kōgaika vu comme processus global suivi d’une disparition des cultures locales et des paysages originaux, ainsi que des liens sociaux. Elle est développée et retravaillée successivement par une série de travaux japonais depuis le milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui (Miyadai Shinji, Miura Atsushi, Azuma Hiroki, Kitada Akihiro, Sadakane Hideyuki).

Cette introduction nous permet de nous tourner à présent vers la présentation sur la désertification et saturation des circonscriptions électorales par Clément Dardenne, enseignant à l’Université Ritsumeikan et doctorant à l’Université Sophia. Il y aborde la démocratie représentative à travers le système électoral et la différence du poids des bulletins de vote selon les circonscriptions, et ce dans le cadre de la diminution de la population nationale et d’une concentration de cette dernière dans les grandes agglomérations et dans les départements limitrophes. Après avoir défini le problème de l’Ippyō no kakusa, qui désigne cette disparité des bulletins de vote constatée entre deux circonscriptions électorales par rapport à l’élection nationale, il évoque les réponses du gouvernement, qui tente de solutionner le problème en supprimant ou fusionnant des circonscriptions sans pour autant modifier le système.

César Castellvi, maître de conférences à l’université Paris Cité, prend la parole pour traiter quant à lui de la désertification médiatique du Japon. En effet, il a constaté que ce concept était une notion voisine de kūdōka, utilisée d’abord aux États-Unis pour désigner les zones géographiques qui ne sont plus couvertes par des médias ou des journalistes. Ce terme est repris au Japon par les médias nationaux au début de la crise sanitaire, évoquant la fermeture de bureaux à l’échelle locale. Cependant, il s’agit d’un phénomène difficilement applicable à la situation du Japon, car une disparition visuelle des médias n’équivaut pas à une zone non couverte par les médias. De plus, les marchés médiatiques sont différents de ceux des États-Unis. Cette présentation a montré la manière dont le Japon cherche une solution à la crise de la presse en important une problématique étrangère.

Yoshiko Sutō, professeure à l’université Nihon, et l’artiste Frédéric Weigel, tentent d’aborder le phénomène de kūdōka avec une approche plus artistique et critique, en s’interrogeant sur les machizukuri et leur place dans les espaces publics.  Il s’agit de festivals d’art organisés hors des musées. La plupart sont initiés par les autorités locales afin de revitaliser les activités économiques du territoire, en promouvant notamment les industries locales dans les domaines du tourisme et des travaux publics. La position sociale d’artiste y est relativement peu autonome et ce sont davantage des intérêts économiques et politiques hors du champ strict de l’art qui y sont moteurs.

Ces quatre interventions amènent Ioan Trifu, enseignant à l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg, à animer une discussion en guise de clôture de la première partie de la journée. Il fait notamment remarquer que l’on retrouve une certaine polysémie dans le terme de kūdōka avec un caractère négatif prédominant, ne semblant pas être positif pour la société. Il constate néanmoins que des phénomènes de restructuration et d’appropriation se mettent en œuvre dans la plupart des cas et interrogent les intervenants sur le rôle des acteurs dans ces processus. Les trois interventions suivantes, en revanche, abordent le phénomène de kūdōka sous un tout nouvel angle.

En effet, Anne-Lise Mithout, maîtresse de conférences à l’université Paris Cité, s’est interrogée sur la manière de remplir le vide dans le marché du travail aujourd’hui et s’est demandée si les entreprises japonaises sont incitées à embaucher des travailleurs handicapés. Afin d’y répondre, elle a mené une étude dans le département d’Akita, un choix dicté par le kūdōka, puisque la ville d’Akita comprend un tiers de la population et de l’activité du département. Elle a pu observer que les PME, qui ne sont pas obligées d’embaucher des travailleurs handicapés, le font quand même parce qu’elles n’ont pas le choix.

Leila Chakroun, docteure en sciences de l’environnement au laboratoire Ladyss, aborde quant à elle le sujet du kūdōka dans le vide des campagnes, qui subissent une triple perte : la dénaturalisation, la désagrarianisation et la dépaysannisation, avec un phénomène nouveau dit de « féralisation (réensauvagement) » des milieux délabrés. Elle réinterroge ainsi le concept de satoyama, désignant les milieux de coexistence harmonieuse entre la communauté villageoise et la nature composée de montagnes et de forêts, aujourd’hui en déclin à cause de l’exode rural et du vieillissement démographique. Afin de les redynamiser, la permaculture propose un nouveau modèle de vie tout en mettant en valeur les paysages naturels féraux. Le processus de kūdōka est ici considéré comme une redirection écologique des paysages.

Enfin, Sophie Buhnik, enseignante-chercheuse en urbanisme à l’ESPI, souhaite aborder les conséquences socio-spatiales de l’évidement au niveau des quartiers, qui contribue à l’augmentation inédite du nombre de logements durablement inoccupés : appelés akiya, ces derniers ont des effets négatifs sur le dynamisme des marchés immobiliers des zones les plus touchées du Japon. La majorité des akiya résultent en fait d’un désintérêt économique de la part des propriétaires (ou de leurs ayants droit) qui ne les entretiennent plus, faute d’entrevoir une possibilité de revente. Afin de lutter contre les vacances résidentielles locales, une loi pour les régulariser et les remettre en valeur a été votée en 2014 (空き家対策特別措置法 Akiya Taisaku Tokubetsu Sochi Hō), et plus de 70% des municipalités ont mis en place un système d’information sur ces logements dits « banque d’akiya 空き家バンク », dans le but de stimuler des transactions entre clients et acheteurs potentiels. Mais alors que ce système rencontre des difficultés pour fonctionner, de plus en plus d’influenceurs d’origine étrangère et résidant au Japon vont développer leurs propres systèmes de transactions, en disant par exemple de ces akiya sur leurs chaînes YouTube ou compte Instagram qu’ils sont peu chers et faciles à réhabiliter ; cela attire un public nord-américain et européen consommant des produits culturels japonais et souffrant de l’inabordabilité des marchés du logement dans leurs pays respectifs. Cette émergence d’une économie de l’attention crée de nouvelles segmentations de la clientèle intéressée.

Les trois interventions de l’après-midi amènent Pauline Cherrier, maîtresse de conférences à l’Université Aix Marseille et chercheuse à l’IrAsia, à remarquer une dynamique plus positive, avec un potentiel créatif, des pratiques minoritaires qui peuvent devenir un nouveau mode de vie, une nouvelle pensée de consommer et une nouvelle pensée dans l’intégration de nouveaux territoires et populations.

Cette journée d’étude consacrée au kūdōka se conclut par une table ronde animée par Kazuhiko Yatabe, maître de conférences à l’Université Paris Cité. Il s’est interrogé sur le contraire de kūdōka : à quoi renvoie une société « pleine » ? Le kūdōka serait-il un concept uniquement négatif désignant l’absence de liens territoriaux et sociaux ? M. Yatabe a évoqué le concept de « passant considérable » d’Isaac Joseph (1984) en le mettant en perspective avec celui de « quatrième espace » de Miyadai (1997) ainsi qu’avec des travaux plus récents de sociologues urbains japonais sur la mujirushi toshi 無印都市 (ville sans symbole) désignant une situation urbaine marquée par des dispositifs de consommation similaires (Chikamori et al. 2013). Les auteurs de cet ouvrage sur la mujirushi toshi mettent en question les discours sur l’homogénéité des banlieues (comme ceux de Miura Atsushi) et soulignent la nécessité d’observer plus finement la diversité de ces espaces. Il était là également question de la définition du concept de « banlieue » souvent opposé au centre urbain. Selon Azuma et Kitada (2006), même l’hypercentre de Tokyo subit un « kôgaika » par l’homogénéisation et le mode de vie devenu « animal » dépourvu de sens communs (Azuma et Kitada 2006) ou encore la grande partie des villes provinciales affectées par le même processus (Sadakane 2015). Peut-on encore supposer, dans cette société « vide », des lieux de « résistance » générateurs de nouvelles dynamiques sociales et culturelles ?

C’est sur cette question qui augure d’autres rencontres et qui anime l’équipe « dynamiques territoriales » que la journée se clôt.

***

Le comité d’organisation remercie chaleureusement l’Inalco pour son accueil, le groupe de recherche Dynamiques territoriales, ainsi que Faustine Chadaillac pour son aide technique lors de la journée et la rédaction de ce compte-rendu. Il adresse également ses remerciements à l’IFRAE, au CRCAO et au Gis Asie pour leur soutien financier et leur contribution à la communication de cet événement.

Affiche de la journée d’étude

Programme

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sfej (21 février 2025). Compte rendu de la journée d’étude consacrée au phénomène de « kūdōka » (phénomène d’évidement), Inalco, 10 juin 2024. Japon(s). Consulté le 21 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cot


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